Introduction
Le réalisme classique faisait du beau et du laid la matière de son art. Mais il en proscrivait le médiocre et comme le disait La Bruyère, on ne saurait représenter « un laquais qui siffle » ou « un homme dans sa garde-robe ». La grande originalité des écrivains réalistes fut d'admettre que tout ce qui se trouvait dans la nature et même le médiocre, pouvait et devait entrer dans le cadre de leurs œuvres. Et à vrai dire, ils ont même manifesté une prédilection à s'inspirer de sujets, à dépeindre des personnages et des cadres empruntés à la réalité vulgaire. Flaubert, dans Madame Bovary, a délibérément orienté lui-même son choix dans ce sens. Mais par le talent de la composition, par le pittoresque de la peinture, par la qualité de l'expression, il a transformé « cette réalité vulgaire en œuvre d'art ».
I. LA RÉALITÉ VULGAIRE
Le sujet de Madame Bovary est emprunté à un banal fait divers : le suicide à Ry, petit bourg de la Seine-Inférieure, de la femme d'un officier de santé, que des déboires sentimentaux et des dettes accumulées avaient amenée à ce geste de désespoir.
Flaubert qui s'inspire scrupuleusement des faits a restitué avec exactitude la physionomie des acteurs du drame. Le mari avait été l'élève de son père, chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu de Rouen, et l'écrivain l'a représenté comme il était : un brave homme un peu lourdaud, consciencieux, timoré et assez ignorant. A l'image de son épouse née Adelphine Couturier, Emma Bovary, l'héroïne du roman, est la fille d'un fermier aisé. Comme Adelphine, Emma s'éprendra successivement d'un voisin de campagne et d'un clerc de notaire. L'un et l'autre ressemblent d'ailleurs fidèlement aux modèles qui les ont inspirés. Rodolphe Boulanger en particulier offre l'exacte réplique de